Marina Rollman
Marina Rollman est venue jouer « Un spectacle drôle », son premier stand-up, à la Compagnie du Café Théâtre à Nantes. Nous l’avons rencontrée à sa sortie de scène pour parler de ses lectures, de la force des mots et de la parole libre sur internet.
Y a-t-il une personne à qui tu penses juste avant de monter sur scène ou juste après ?
Avant de monter sur scène, je ne pense pas à une personne en particulier. Je pense à ne pas penser. J’essaie de me concentrer, de ne pas tergiverser, de ne pas me créer d’angoisse inutile. C’est une sorte d’état méditatif qui me permet d’être bien avant de me lancer.
Bobo / stand-up / féministe / jolie / suisse : parmi ces 5 mots que les journalistes te collent à la peau, lequel te désole le plus ?
Peut-être « jolie ». Ce qui pourrait m’embêter, c’est que ça revienne très souvent. J’ai l’impression qu’on a encore parfois du mal à se dire qu’une fille jugée jolie peut aussi faire marcher son cerveau. A l’inverse, il y a plein de mecs dans l’humour qui sont beaux et on ne leur en fait pas forcément la remarque. En ce qui me concerne, je le vis un peu comme un paradoxe : au tout début de ma carrière, j’évitais de mettre mon physique en avant, je me cachais derrière mes vêtements. Et quand j’ai commencé à mettre mon physique en avant, je pense que ça a pu en étonner certains. Quand t’es une femme et tu travailles dans un milieu très masculin, si on insiste beaucoup sur le fait que t’es mignonne, tu peux finir par douter de ta légitimité et de ta compétence. Pour ma part, j’essaie d’être détachée de ça, je me dis que c’est un jugement subjectif et arbitraire. Comme je ne peux pas vraiment savoir ce que les gens entendent avec ce mot « jolie », j’essaie de ne pas m’en préoccuper.
Caféinomane / mélomane / mégalomane / wonderwoman / kouign-amann : parmi ces 5 mots qui riment avec Marina Rollman, lequel te qualifie le mieux ?
(rires) Mégalomane ! Je pense que je le suis gentiment. Certaines choses que je désire dans la vie ne sont accessibles que si on a atteint un haut niveau de notoriété ou de réussite… alors je me dis que je dois être un peu mégalo pour persister à vouloir ces choses et croire que c’est possible. J’ai envie d’avoir plusieurs maisons, plus de temps pour voir ma famille, plus de confort… Ce genre de privilèges, quoi. (rires)
Il y a beaucoup de scènes ouvertes d’humour en France, de nouvelles chaînes d’humour sur YouTube chaque jour, de plus en plus de chroniqueurs d’humour dans les matinales radio… Comment tu fais pour trouver ta singularité dans cet océan de divertissement ?
A mon avis la saturation humoristique est un souci. Je trouve qu’il y a aujourd’hui beaucoup trop de contenus, notamment avec les vidéos courtes sur les réseaux sociaux. Du coup, on consomme du contenu humoristique de façon rapide et jetable. Alors, j’essaie de développer la notion d’idée durable. Avant de produire un contenu, je me demande pourquoi je le fais et s’il y a une réelle utilité à le faire. Parfois, quand je vois la profusion de vidéos humoristiques, j’ai envie de dire : « stop , allez on ferme tous nos gueules et on va lire des bouquins ! »
Il y a une période où j’ai hésité à arrêter ma carrière parce que je craignais que tout ça soit vain. Je me disais : « et si c’était trop de bruit pour rien ? » Aujourd’hui je ne sais pas si j’ai une singularité… mais j’ai le sentiment que la clé, c’est l’honnêteté. Beaucoup de choses fonctionnent avec des recettes toutes faites : comment faire une vidéo YouTube qui marche, par exemple… Du coup on oublie parfois que ce qui est intéressant, créativement parlant, c’est d’être honnête dans sa démarche. Par ailleurs, je pense que c’est important aussi de ne pas toujours rester dans sa zone de confort. J’aimerais me risquer à d’autres formes d’humour, avec des sujets plus complexes, peut-être plus gênants aussi. Avec un ton perché, lent : ne pas chercher l’efficacité à tout prix.
Est-ce que c’est drôle de ne pas être drôle ?
Absolument ! Pour moi, c’est un des axes essentiels de l’humour : le comique malgré soi. La drôlerie qu’on ne contrôle pas, qu’on ne maîtrise pas. Ça me rappelle Le Rire de Bergson : est drôle ce qui n’est pas humain et ce qui n’est pas humain est ce qui est mécanique. On rit pour pointer du doigt l’inadaptation d’un comportement humain à une certaine situation. Le propre de l’être humain étant d’être réactif. Quand on résiste à s’adapter et quand on n’est pas réceptif aux choses imprévues qui se jouent devant nous, on peut facilement prêter à rire. Donald Trump est un parfait exemple. Dans son obsession à vouloir paraître puissant et à imposer son autorité, il adopte une attitude mécanique, il en vient à dire et faire des choses qui sont en décalage avec la réalité. C’est parfois très drôle.
Est-ce qu’il y a une phrase, une citation… que tu as lue ou que l’on t’as adressée, et que tu te répètes régulièrement comme un mantra ?
Laurence Bibot, une humoriste belge que j’adore, a dit dans une interview quelque chose comme « il faut toujours se rappeler que tout ça n’est pas grave »… Je pense que ça peut être un bon mantra.
Est-ce que tu te souviens du premier livre qu’on t’a offert ?
J’ai des super livres d’illustration, mais j’ai du mal à en retrouver les titres. Pour l’un c’est l’histoire d’un poisson qui a des écailles un peu spéciales, des écailles en paillettes… (Arc-en-ciel, le plus beau poisson des océans, de Marcus Pfister / ndlr). Pour l’autre c’est une histoire de chats qui vont sur la lune. Mais je pense que mon premier bouquin m’a été offert par ma grand-mère : c’est un conte sur un lapin vert , une jolie fable sur la différence…(Les contes du lapin vert, de Benjamin Rabier / ndlr). Plus tard, j’ai découvert des grands classiques comme Le Petit Prince de Saint-Exupéry.
Pour toi, quelles sont les meilleures conditions pour lire un bon bouquin ?
D’abord il faut que je sois loin d’un téléphone (rires). Pour lire la presse, j’aime aller dans un tea room : en Suisse, ça existe beaucoup, ce sont des espaces réservés dans des boulangeries ou des cafés où on peut se poser tranquillement pour feuilleter un journal ou un magazine. Quand c’est un roman, j’aime être dans les transports en commun. Je sais que je lis un bon bouquin quand je suis tellement absorbée que j’en oublie que je suis dans un métro ou un train. Sinon, dans mon salon j’ai un grand canapé à côté d’un beau ficus : c’est devenu mon nouvel endroit idéal pour lire. J’aime aussi avoir de quoi boire et manger à portée de main. (rires)
Est-ce qu’il y a un livre que t’aurais adoré écrire ?
Quand j’étais plus jeune, j’avais un vocabulaire francophone plus riche parce que je lisais plus d’ouvrages en français. Aujourd’hui je lis beaucoup de littérature anglaise et je pense que ça joue dans mon rapport à la langue. Un de mes bouquins préférés est signé de James Salter, il s’appelle Light Years (Nos plus belles années) : ça raconte l’histoire d’un couple dont le mariage se délite peu à peu au fil du temps… et cette décrépitude s’étale sur 20 ou 30 ans… J’adore ce livre, je le lis régulièrement et j’aurais adoré l’écrire. Mais avec le temps, je suis de plus en plus optimiste et j’aimerais croire qu’il y a des histoires qui durent toute la vie. (rires) Sinon, il y a le roman Moonglow, de Michael Chabon. La structure du bouquin est assez complexe, avec des flashbacks, des autoréférences, des reconstitutions d’événements passés…Un vrai labyrinthe ! Ça me plairait d’écrire quelque chose d’aussi fou. Ça me changerait du stand-up où l’écriture est calibrée, formatée, cadrée. Ce cadre me rassure car je suis de nature angoissée, mais parfois j’ai envie de me lancer dans des projets plus ambitieux : écrire un roman, par exemple. Mais je me sens tétanisée rien que d’y penser… parce que le champ des possibles est tellement vaste que je ne saurais pas trop comment aborder la chose.
Qu’est-ce que ça évoque pour toi, le mot “poésie” ?
Je pense que je suis hermétique à la poésie classique, à la poésie en tant que discipline écrite. Je n’ai pas été sensibilisée à cet art et je le regrette. En revanche, j’aime observer et ressentir de la poésie dans la vie quotidienne.
C’est quand la dernière fois que t’as eu le sentiment de vivre un moment de poésie ? Tu peux nous le décrire ?
Un jour, j’étais assise dans un café presque vide et j’observais la gérante dans un moment que j’ai trouvé beau : elle devait avoir entre 50 et 60 ans, les cheveux grisonnants, et derrière son comptoir elle dansait sur des chansons sexy de George Michael. Elle était seule, rayonnante, à l’abri des regards, et j’imagine que ces chansons lui rappelaient des moments de sa jeunesse. Pendant ces quelques minutes j’avais l’impression de la voir dans un moment simple, intime où elle se faisait plaisir.
Y a-t-il un mot que tu trouves moche mais que tu aimes utiliser ?
Oui : PINER. J’adore ce verbe ! Il met tout le monde mal à l’aise et ça m’amuse beaucoup.
Y a-t-il un mot que tu trouves joli mais que tu détestes utiliser ?
Oui, j’aime bien SYCOPHANTE… même si je dois avouer qu’on l’utilise assez peu. Je me rappelle d’une comédie française (Les Barbouzes de Georges Lautner / ndlr), où un personnage se fait traiter de « sycophante glaireux ». C’est assez péjoratif, je crois.(rires)
Tu sembles très à l’aise et sans filtre sur scène. Est-ce qu’il y a des choses que tu as du mal à dire ? Comment tu fais quand tu ne trouves pas les mots ?
Je me donne du temps. Quand j’ai du mal à aborder un sujet ou, au contraire, quand j’ai trop envie de traiter un sujet, j’essaie de prendre du temps et du recul. C’est important qu’une idée ait été mûrie avant de la présenter au public. Ecrire à chaud, ce n’est pas toujours intéressant. Sinon, l’autre solution, c’est de prendre des bides, tout simplement ! (rires) A force de répéter une vanne, tu vas peut-être finir par l’améliorer et la rendre moins nulle. J’aime bien le conseil que m’a donné un jour Yacine Belhousse, un ami humoriste : si un truc est marrant dans ta tête, il le sera pour le public… il faut juste que tu trouves le bon pont, la bonne manière de l’articuler et de l’amener pour que ça percute à l’oreille des gens.
Régulièrement des mouvements naissent sur internet pour sensibiliser les gens à prendre la parole sur des sujets parfois complexes. Ça a été le cas dernièrement avec les migrants ou encore avec les personnes victimes d’agressions sexuelles. Que penses-tu de cette libération de la parole ?
Je trouve que c’est important que des victimes puissent s’exprimer et qu’internet soit un espace où leur parole peut se libérer facilement. Mais que tout le monde puisse prendre la parole sur tout… C’est à double tranchant. Pour dénoncer des dérives ou condamner des malfaiteurs, certaines personnes s’abaissent à leur niveau en utilisant des termes odieux, des insultes sur le physique, etc. Je trouve dommage de déverser de la méchanceté comme ça, sans filtre. C’est important de se battre pour la justice, pour une cause digne… Si on mène ce combat en s’abaissant aux mêmes facilités et au même degré de bêtise que la personne qu’on condamne, ça m’attriste. Malgré la colère juste et légitime qu’on peut ressentir, je trouve étrange d’utiliser les mêmes mécanismes d’humiliation ou de déshumanisation. Par exemple, pour condamner Harvey Weinstein, beaucoup de personnes l’ont insulté sur son physique. Pourquoi faire ça ? Au cœur des crimes commis par Harvey Weinstein, il y a la déshumanisation et l’objectification de ses victimes. L’objectification, ça consiste à réduire une personne et toutes ses qualités à sa seule enveloppe physique…ou du moins la représentation qu’on s’en fait. Que des personnes qui défendent ces victimes en viennent à leur tour à réduire Weinstein à “son physique de gros porc” me désole.
Tout ça m’interroge aussi à titre personnel : après tout, qui suis-je pour donner mon avis sur tel ou tel sujet ? Pourtant je le fais régulièrement et on me paye même pour ça… La parole libre sur internet c’est chouette, mais j’ai l’impression que ça nous a fait perdre de vue qu’il y a des enjeux et de vraies complexités à traiter, plutôt que de laisser libre cours à nos instincts les plus débiles.
Tu es très active sur les réseaux sociaux, tu as toujours ton Macbook à tes côtés, un smartphone hyperactif… C’est quoi ta recette secrète pour déconnecter ?
Je pense qu’il faut tout casser, tout brûler… mais je crains que ce soit un avis un peu trop décroissant !(rires) Ça me désole de devoir utiliser tous ces réseaux sociaux. J’ai fermé mon compte Facebook personnel et j’ai désinstallé toutes les applications de mon téléphone. Là, mon Iphone 5 arrive en fin de vie et je me tâte sérieusement à acheter un vieux Nokia 3310 pour déconnecter complètement. Je pense sérieusement que cette invasion technologique nous fait du mal. Mais c’est grâce à ces outils envahissants que je peux faire connaître mon travail, que les gens s’intéressent à moi, regardent mes chroniques et viennent me voir en spectacle. Drôle de dilemme ! (rires)
Quelle est la chose la plus poétique que tu aies vue sur internet ?
Il y a deux artistes qui me viennent en tête : Dimitris Papaioannou, un chorégraphe grec qui a monté une oeuvre touchante intitulée Nowhere… Et Brian Bilston, un poète très actif sur Twitter qui publie des poèmes originaux et très inventifs.
Si tu devais écrire un statut Facebook ou un tweet poétique, ça donnerait quoi ?
« Film protecteur de serviette hygiénique
Posé sur le trottoir, une question
Subsiste : pourquoi ? »
Ce sera le mot de la fin.
Propos recueillis par Juliette Allauzen et Catel Tomo / Photos : Marie Barbier.